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Parole retrouvée

VIP-Blog de nboudjou
  • 137 articles publiés
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  • Créé le : 15/02/2005 11:34
    Modifié : 17/03/2008 17:26

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    à l’origine était la solitude

    17/02/2005 19:14



     

     

     

     

    L’artiste n’est pas celui qui comble ou meuble sa solitude parce qu’elle lui pèse, parce qu’il éprouve ce sentiment d’abandon, d’isolement, de délaissement ou de déréliction. La solitude est chez l’artiste une situation, un état, une exigence, un fondement à sa condition, à son statut d’artiste; elle est l’aboutissement, l’harmonie de cet ensemble : sa plénitude, sa maturation. C’est le cas pour les grands artistes, c’est le cas pour Nacer Boudjou car il est un grand artiste. Il est celui qui se moque des contre-attaques, nargue le temporel et le spirituel :

     

    « Se pose des questions,

    « Se fout des réponses

    « Se fout de tout…

    « De ce temps qui devient sa solitude » (Solitude, Tunis 1998).

     

    Interpellé, il est un visage pluriel,

     

    « Des visages

    « Vrais, authentiques

    « Découverts à la lumière du jour

    « Sous la pluie battante

    « Des visages aux bouches édentées

    « Aux voix enrouées

    « Des visages qui ne baissent pas les bras ». (Visages, Alger, 1987).

     

    Visage aux mille visages, il est le portrait de ses pères jusqu’à l’infini des origines, il est le portrait de ses enfants jusqu’à l’infini du devenir, l’écho du passé vibre de toutes les fibres d’aujourd’hui, et demain laisse augurer des moissons nouvelles, car il est le maillon d’une chaîne qui résiste aux intempéries.

    Une nouvelle (Boudjou est nouvelliste), un poème (il est aussi poète), un article dans un périodique (il est également journaliste), un cou de pinceau lumineux (il est surtout, enfin, un artiste plasticien qui touche à toutes les techniques qui donnent forme à l’expression, qui expriment les sentiments et les émotions dans une réalité subjective), voilà un outillage qui nous éclaire « d’une lumière singulière un coin de notre vécu au seuil du non-sens et de l’espoir ».

     

    Nacer Boudjou est algérien. Il est né en 1952 dans un croisement où se nouent et se dénouent passé, présent et futur, au lendemain de la crise dite « berbériste » au sein du PPA-MTLD et à la veille du soulèvement indépendantiste en Algérie. 1952, année clé pour les remises en cause, les alliances et les divorces, car si l’objectif unit les nationalistes, les prétextes et les intérêts les séparent. Il est né à El Qelâa, l’ancienne forteresse des Aït-Immel, non loin de Tiklat, l’antique Tubusuptu (le regretté Azzeddine Meddour a réalisé un excellent documentaire, Le trésor de Tiklat), qui domine sur sa rive gauche une  Soummam sinueuse qui relie la montagne kabyle à la baie de Bougie.

    Jusqu’à l’âge de six ans, le jeune Nacer a très peu connu son père, émigré d’abord en France où il a appris la conduite, puis à Alger où il a exercé comme « taxieur ».

    C’est avec ses grands-pères  mais aussi avec ses oncles et ses tantes du coté paternel et du versant maternel qu’il va acquérir les techniques culturales et de la transformation de la matière. Son oncle Mohand-Laïd a l’art de creuser et tailler des bouts de bois jusqu’à en faire des cuillères aux décors géométriques qui remontent aux origines du monde, tandis que son grand-père Bachir fabriquait du charbon dans la forêt des Aït-Immel.

    Son oncle sait toutes les tâches de la construction des maisons, depuis l’édification des murs (en pisé, en pierre ou en parpaing), jusqu’à la pose de la charpente et des tuiles ou l’aménagement d’une terrasse, jusqu’au crépissage et aux plâtres.

    Le domaine intérieur relève de sa tante qui sait modeler amphores, jarres et plats, les peindre, les cuire et les vernir, ainsi que les monumentaux ikufan, ces silos aux bas-reliefs faits de serpents de terre. C’est aussi elle qui prépare les teintures dans d’immenses chaudrons où elle plonge les écheveaux de laine pour le tissage des tapis et couvertures. C’est justement elle qui, la première, a introduit dans le tissage l’art de conter l’histoire du groupe. C’est vrai qu’elle détient une parfaite maîtrise de l’histoire et les techniques d’introduire des fils de laine de différentes couleurs dans la trame du métier à tisser. Il s’en suit des formes géométriques dont elle seule a le secret de les lire et les interpréter. Elle ne compose pas que des couleurs, elle sait aussi composer de longs poèmes qu’elle chante à l’occasion des fêtes ou des deuils.

     

    « Visser

    « Clouer

    « Les allumettes

    « Sur la cire » (Folies printanières, Alger, 1976).

     

    C’est là ses jeux d’enfant de Nacer. Après les moissons, avant la saison des figues, la famille se rend en pèlerinage au mausolée de Sidi Ayad. Le saint homme serait le père de quatre filles : Lalla Gouraya, la sainte patronne de Bougie ; Lalla Timezrit qui veille sur les deux versants de la montagne du haut de sa vigie ; Lalla Tuggit et une autre dont la mémoire n’a pas retenu le nom. La légende dit que Sidi Ayad, après qu’il ait quitté son ermitage dans la montagne,  a fait jaillir des eaux chaudes en plantant sa canne à l’endroit de la source. Depuis, des constructions ont été aménagées pour recevoir dans les eaux bienfaisantes une population toujours nombreuse. C’est dans cette ambiance, riche de couleurs, où hommes en burnous blancs, femmes aux robes chatoyantes et enfants aux chéchias rouges et pantalons bouffants, viennent rendre grâce au saint dans des chants de louanges et d’allégresses et de danses extatiques rythmées aux battements fortement soutenus des bendirs (tambourins). Le jeune Nacer s’en est largement imprégné et porte en lui une débauche de teintes et de résonances.

     

    « Je vole au-dessus de vos têtes

    « J’embrasse au-dessus de vos pieds

    « Je récolte des fruits âcres

    « A force de vous ouïr

    « De vous apercevoir

    « De vous acquiescer

     

    « Hors de mes dessins

    « Hors de mes idées

    « Hors de mes… !

     

    « Je campe sur les lieux

    « De mes larmoiements

    « De mon accablement

    « De ma fraternité

     

    « Félicité où es-tu ?

    « Rallumer mes lanternes

    « M’abreuver de ton élixir

     

    « Je coupe le ruban pour renaître » (Elixir, Tunis, 1998)

     

     

    Le grand-père Bachir a mobilisé toute la famille pour racheter, c’est une question d’honneur,  cette ferme dans la vallée, sur la rive gauche de la Soummam, dont la famille a été dépossédée à la suite du séquestre de 1871. C’est à force d’économies, de privations et quelques emprunts qu’il ait pu réunir le prix du rachat de la fameuse ferme de Irgalitou. Toute la famille s’est retroussé les manches pour labourer, cultiver, planter, moissonner, récolter, conditionner ou transformer. Un makhzen (entrepôt) a été acheté à Sidi-Aïch, la commune de plein exercice où se trouvent les écoles, le dispensaire, la mairie, les commerces, le marché hebdomadaire, mais surtout la route qui relie la petite ville à Bougie et Alger, pour écouler les produits de la ferme (figues sèches, huile d’olive, céréales, fruits et légumes. C’est dans cette profusion et ce début d’aisance que la guerre d’Algérie éclate le 1er novembre 1954.

     

    « L’été est passé avec insouciance

    « Suivi d’un automne prometteur

    « L’hiver pluvieux est bien entamé

    « A la porte d’un printemps

    « Les bourgeons ronronnent sous les tourbillons d’abeilles

    « Les amandiers aux robes de ballerines

    « Dansent "Le lac des cygnes"

     

    « Il a reçu comme une claque

    « Une nouvelle amère

    « Un message qui n’en dit pas trop

    « Seulement il prédit

    « Une séparation » (Soumission, Tunis, 1997).

     

    La famille Boudjou, très engagée avec le mouvement pour l’indépendance de l’Algérie, paya lourdement son parti pris avec le Fln : des arrestations sont opérées suivies d’expéditions punitives de jour comme de nuit, puis expulsion de la famille d’El Qelâa des Aït-Immel, qui ensuite le village a été détruit par l’aviation en 1958. La famille se replia sur de la ferme de Irgalitou. Comme poursuivi par le sort, la ferme fut à son tour canonnée. Des membres de la famille furent tués sous le regard de Nacer. Voilà la famille déracinée et éparpillée aux quatre vents. Mohand-Tahar, le père de Nacer, chauffeur dans une entreprise à Alger où il était déjà réfugié, emmène femme et enfants dans l’appartement qu’il a pu avoir à la cité des Eucalyptus, dans la banlieue est. Pour mieux suivre les études de son aîné, déjà fortement perturbé à cause des événements qu’il a vécus en Kabylie, Mohand-Tahar inscrit Nacer à proximité de son lieu de travail à l’école Aumérat dans le quartier de Belcourt, là où Albert Camus, enfant, a usé ses fonds de culottes.

    Dans son déracinement, Nacer doit s’accoutumer à la vie de deux quartiers totalement différents dans leur composition humaine, il est Belcourtois le jour et doit composer avec des populations urbanisées, des Européens et des arabophones. Après la classe, il doit pactiser avec des enfants aussi déstructurés que lui, venus des différents horizons de la montagne kabyle. Ce va-et-vient d’un quartier à l’autre exige de Nacer beaucoup de flexibilité, d’accommodement, de diplomatie, savoir « s’effacer devant les obstacles » (Lucidité, Alger 1977). Bref, il apprend, pour se trouver au-dessus de la mêlée, à être conciliant, manier le kabyle, l’arabe et le français suivant les circonstances, les lieux, et les personnes. Il lui faut être de son temps et apprendre à être seul, à vivre seul, à jouer seul, à aller seul, à monologuer, à s’assumer totalement. C’était peut-être là son déchirement, c’était peut-être là son printemps :

     

    « Rien que des petites folies printanières

    « Et nous avons vécu

    « Comme n’importe qui

     

    « Encombrés

    « Avec nos larmes

    « Dans la bouche

    « Nous aurions dû être

    « Des êtres existant ailleurs » (Folies printanières, Alger, 1976).

     

    « Comme n’importe qui », c'est-à-dire comme tout le monde. Et comme tout le monde, il a besoin que les choses aient un sens. Cet « ailleurs », il doit se trouver là comme s’il doit s’acquitter d’une obligation, comme si des voix lui ont fixé rendez-vous là. Cet ailleurs, c’est sa Soummam, ses tendres années à l’école communale de Sidi-Aïch, sa ville, ses camarades d’enfances qu’il a hâte de retrouver. Cet ailleurs, c’est chercher plus loin que le seul fait de son existence, c’est construire son monde imaginaire à l’intérieur d’un monde réel. Oui, il y a le monde, avec ce qu’on y rencontre ; et en parler, c’est être dans le monde. C’est là, dans cet ailleurs, qu’il maîtrise le langage fait de pondération et de persévérance des hommes et les femmes disparus, emportés par la tempête de la vie au cœur de la vie, et, enfouis au fond de son secret, ils vivent encore dans « les bruissements de nos blessures » (Folies, op. cit.). Il a capté leurs messages codés, il les lit et les comprend les yeux fermés, ils sont sa mémoire, sa quintessence, sa moelle, son suc, sa substance qui le nourrit assidûment.

    Il y vit jusqu’à l’obtention du BEPC. La prochaine rentrée il l’accomplit au Lycée Ibn Sina à Bougie, la ville éclairée par son nom. Parce que réputée par la qualité de sa cire, la ville possédait de nombreux ateliers où l’on fabriquait les fameux cierges qui y tirent leur nom et vendus dans toute la Méditerranée occidentale. Il apprend à lire les vestiges de la capitale des Hammadides, et l’histoire du prince des remparts, En-nassir Ibnu Hammad, le Victorieux fils de Hammad, Victor. Souvent on trouve l’adolescent hanter les sous-sols du musée de la ville, à reproduire les fresques qui font la gloire des lieux. Tout l’intéressait dans Bougie, le dédale des rues, les odeurs, les personnages, les dires…

    1968, son année du bac il va la passer au Lycée El Idrissi à Alger. Un autre déracinement ? Un déracinement rappelle un autre enracinement, antérieur, de la perception. Il redécouvre la ville sous un autre ciel, avec un regard nouveau. Il entre dans une Alger où se rencontrent le passé et le présent, le souvenir et l’immédiat, l’ancien et le nouveau, la mort et la vie. Tout fait implique un pendant d’existence, il est à la fois dans le monde et dans l’esprit. Nier l’un ou l’autre, c’est sacrifier le fait dans ses deux existences. Nacer se souvient de son enfance, elle s’énonce dans le présent : elle lui est apparue sous la forme de ses acquis, de ses épreuves, de l’usage qu’on en fait, des sensations éprouvées, des sens qu’on veut leur discerner.

     

    « Je l’ai caressée avec mes ailes

    « Un après-midi du mois d’août

    « J’ai passé le temps du vol

    « à reconnaître un par un

    « Les coins que je chéris». (in Pollen d’azur, Arlon, 2003, p. 47).

     

    Alger, c’est aussi la concrétisation de tous ses acquis, des choses vues ou ressenties. L’Ecole Nationale puis Supérieure des Beaux-Arts lui ouvre ses portes sur les hauteurs du Telemly. Un bon cursus scolaire. Des stages et des ateliers en Espagne et en Italie achèvent sa formation, particulièrement dans les domaines de la critique d’art et de l’histoire des civilisations.

     

    Ali Sayad,

    anthropologue,

    chercheur associé au Centre national

    de recherches préhistoriques,

    anthropologiques et historiques.







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