Le choc des couleurs reflète le souci de rétablir une vérité tronquée par un académisme obsolète qui cherche à reproduire une réalité au lieu de la transcender dans une expression libre où seuls les repères de l’artiste crédibilisent la vérité de l’œuvre.
Dans la tourmente d’une quête éperdue de vérité, le travail plastique et graphique de Nacer Boudjou trace le temps fossile d’une mémoire écorchée à fleur de femme, contrariée par la brûlure lancinante du mensonge de l’histoire humaine. Alors l’œuvre se fait et se défait pour se parfaire d’elle-même dans tout ce qu’un homme de vrai cherche outre la femme. Ici et maintenant et tout le temps, les formes et les couleurs s’éternisent dans les vestiges d’un combat intérieur mémorisé par la matière stratifiée, burinée, martelée avec l’impertinence farouche de son caractère de sculpteur et graphiste dont il fut jadis professeur.
Nacer Boudjou n’est pas un peintre mais plutôt un créateur invétéré qui a très vite transcendé le figuratif qu’il maîtrise d’ailleurs avec une rare dextérité. Parlons plutôt de transfiguration de l’être à travers sa fascination pour la femme. La performance de l’artiste n’est pas de rendre hommage à la femme, mais de saluer la femme qu’il libère par le pouvoir troublant d’une opération alchimique provoquée par les humeurs inspirées de Nacer Boudjou qui crée l’extraordinaire de la femme dans l’inertie de l’image.
Et l’étrange se manifeste dans les contrastes violents de ses nuances chromatiques qui habillent et déshabillent ses femmes, devenues des amazones surprises dans leur candeur par le miracle de la résurrection. Le choc des couleurs reflète le souci de rétablir une vérité tronquée par un académisme obsolète qui cherche à reproduire une réalité au lieu de la transcender dans une expression libre où seuls les repères de l’artiste crédibilisent la vérité de l’œuvre.
Et il y a dans le travail de Boudjou quelque chose de terriblement vrai qui témoigne de son engagement pour la libération de l’être. Il lutte sans retenue, sans espoir de retour, laissant la femme l’interroger, le défier, peut-être l’ensorceler. Et si elle n’apparaît pas toujours dans ses œuvres graphiques, c’est qu’il lui offre toute la liberté de disparaître et d’apparaître à sa guise, soumis à ses caprices.
Il l’appel, aspiré par le tourbillon de la matrice et du cordon ombilical auquel il s’accroche désespérément. Et quand il est épuisé par les ébats de sa quête lancinante, Nacer Boudjou lui écrit de longs poèmes d’amour où il se fait petit, si petit, qu’il n’y a plus de place pour lui. Si elle est, comme disait Aragon, l’avenir de l’homme elle est chez Boudjou la seule véritable raison d’être de l’homme. Et chaque œuvre de l’artiste est un essai, une profonde réflexion, voire un support de méditation existentielle.
C’est pourquoi Nacer Boujou figure parmi les rares artistes de ce monde qui tracent et pérennisent le temps au-delà des normes conformistes car il donne à l’art une dimension épique qui s’inscrit d’ores et déjà dans l’histoire de l’art contemporain.
Mustapha Raïth, écrivain, plasticien
Catalogue d’exposition,Tunis, mai 1997