Jadis, l’art de la mosaïque avait été fort prisé en Afrique du Nord et dans plusieurs pays des rives méditerranéennes. C’est un art qui a existé bien avant la colonisation romaine, sans doute au temps des comptoirs puniques et grecs. Plusieurs ateliers de mosaïstes fleurissaient dans toutes les cités numides, carthaginoises…
Archives
Par Nacer Boudjou
Tous les édifices, les demeures résidentielles ont été marquées par leur sceau. La cosmogonie, la vie des citoyens ont été immortalisées dans les grandes surfaces de mosaïques. Malheureusement, cet art n’a pas fait long feu vers le XV ème siècle. En Algérie et ailleurs, sa pratique a été abandonnée à jamais, Par contre, en Tunisie de nouveaux ateliers de restauration et de formation commencent à voir le jour.
A l’encontre de la peinture et de la sculpture, la mosaïque est une technique d’art limitée à la civilisation gréco–romaine avec l’ensemble des rives africaines, orientales, le monde paléochrétien et byzantin. Ces réapparitions au Moyen–Age, en Occident, furent éphémères et sporadiques. Certains historiens avancent la thèse que la mosaïque est née une fois que la fresque murale fut bannie des édifices publics.
Le terme « mosaïque », utilisé dans toutes les langues européennes, a pour origine « musiuum opus », mot latin qui désignait des mosaïques qui ornaient des grottes et les fontaines. Par la suite, le terme a été appliqué aux mosaïques murales en général, ensuite à la technique tout entière. La mosaïque exige des équipes d’ouvriers qualifiés, une préparation technique et matérielle plus minutieuse que toutes les autres techniques picturales. Faite de petits cubes de matière dure, elle est appliquée au sol, aux murs et aux voûtes de grandes surfaces. Il existe la mosaïque de parement, murale ou de revêtement.
Les Romains, les peuples africains et asiatiques, en adoptant la civilisation et l’art des grecs, ont emprunté aussi la mosaïque. Les plus anciens parements romains de caractère artistique (1er siècle avant notre ère) ont été trouvés à Pompéi, Palerme et à Malte. Quelques uns comptent parmi les plus beaux échantillons de cet art. La mosaïque de pavement comporte de simples dessins géométriques en noir et blanc : damiers, cercles entrelacés, combinaisons de losanges, de carrés et de cercles, motifs végétaux stylisés. La mosaïque murale est venue bien plus tard, au 1er siècle avant notre ère, sans doute à Rome, et se répand dans tout l’Empire, vers le II ième et III ième siècle. Elle couvre toutes les voûtes des édifices publics : fontaines, thermes, etc. La mosaïque murale est le premier des arts plastiques, contrairement à la mosaïque de parement, restée surtout décorative. Au cours du 1er siècle de notre ère, elle pénètre sous cette forme dans toutes les provinces de l’Empire. Des écoles locales modifient les modèles reçus de la métropole, les enrichissent de couleurs et d’ornement nouveau.
La mosaïque représentant la déesse Tanit
A l’instar des autres régions qui étaient sous la tutelle de Rome, l’Afrique dans l’antiquité a développé cet art. Mais une chose est certaine, c’est que l’art de la mosaïque était connu en Afrique. Plusieurs villes ont abrité des ateliers et des écoles de mosaïque. Les pièces de mosaïque ont été trouvées dans plusieurs cités fondées par les autochtones, prouvant l’existence de cet art antérieur à l’avènement de Rome. Une petite mosaïque représentant le signe de Tanit, déesse carthaginoise adorée par l’ensemble des peuples Nord africains (Maures, Numides, Gétules, Libyens), a été découverte dans un site punique en Tunisie.
Cet art, maintenant délaissé, était fort prisé par la bourgeoisie africaine. Les mosaïstes devaient avoir une grande importance dans la vie de la cité, car l’un d’eux a estimé nécessaire de signer son œuvre, ce qui laisse supposer une concurrence active. C’est ainsi qu’une mosaïque provenant de l’atelier Nicentius, écarte le voile de l’anonymat en révélant le nom de cet atelier et de son lieu d’implantation en Afrique du Nord. A Hadrumète (Sousse) en Tunisie existe une école très renommée de mosaïstes, qui envoyait ses artistes dans différents pays pour décorer les demeures de plaisance des notables et des édifices ayant plusieurs fonctions.
Chaque région de l’Afrique ou d’Asie mineure a ses propres couleurs, son style, sa technique. Car les mosaïstes utilisaient les produits locaux et leur inspiration est indépendante de toute idéologie. Le succès de cet art est attesté par les très nombreuses œuvres qu’on trouve encore lors des fouilles archéologiques ou accidentellement à l’extension des villes, de travaux de canalisation etc.
Les sujets traités par les maîtres sont en relation directe avec la vie spirituelle, la mythologie grecque, partagée par l’ensemble des peuples méditerranéens, les schismes religieux, vieilles légendes, héros populaires, scènes de chasse, cirque, travaux champêtres etc. Les allégories suivantes sont révélatrices : Léda, Apollon, Marsyas, la lutte d’Eros et de Pan, les grâces. Ces œuvres ont été dégagées des ruines dans les villes de Sour El Ghozlane, Arzew et Cherchell en Algérie. Les divinités de la Terre sont très représentées comme les sujets mythologiques. Nous avons Bacchus apparaissant comme dieu de la végétation au milieu des quatre saisons ou en compagnie d’Ariane suivi des satyres, trouvées à Arzew, Lambèse (Algérie) et dans plusieurs villes africaines. Les divinités de la mer et des eaux sont aussi fort représentées : Neptune, Océan, Néréide (fille de Nérée et de Doris), découvertes à Hippone, Ténès, Qal’a de Beni Hammad et à la Lambiridi. Amphitrite (déesse) entourée des Néréides, femme diadémée, au visage majestueux, qui soulève des deux mains, à la hauteur des épaules, les boucles de son opulente chevelure, trouvée à Bulla Régia en Tunisie.
Les vieilles légendes sont aussi de la partie : Hercule luttant contre les centaures, Orphée calme et tranquille, assis au milieu des animaux, charmant les plus féroces par les sons harmonieux qu’il sait tirer de sa lyre. Ce sont des sujets retrouvés un peu partout en Maurétanie Tingitane, Numidie, Carthage et en Tripolitaine. Une mosaïque trouvée à Lambiridi est la pièce la plus exceptionnelle, à elle seule constitue un document historique. Elle illustre en effet, une doctrine philosophique répandue en Afrique du Nord au III ème siècle et connue sous le nom d’hermétisme, enseignée par le dieu égyptien Thot, que les Grecs assimilaient au dieu Hermès. Les sujets relatifs à la vie de tous les jours sont suffisamment visibles. Ce sont des scènes précieuses pour la connaissance de la situation économique et sociale des pays d’Afrique du Nord. Les divinités chrétiennes sont elles aussi fort représentées, n’oubliant pas que l’Afrique, l’Asie, l’Europe ont adopté les religions monothéistes de Moïse, de Jésus Christ et ensuite de Mohamed. Ainsi, tout l’esprit des peuples méditerranéens a été moulé dans les valeurs religieuses. L’art de la mosaïque n’a pas eu longue vie ; quelques siècles ont marqué de ses lettres d’or les périodes les plus fantastiques de la vie des peuples de la Numidie, de l’Africa et de la Tripolitaine et bien entendu la Mauritanie Tingitane.