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VIP-Blog de nboudjou
  • 137 articles publiés
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  • Créé le : 15/02/2005 11:34
    Modifié : 17/03/2008 17:26

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    Castel del Monte

    29/03/2005 12:08



    Extrait de :"Le voyage en Italie, Dictionnaire amoureux"
    par Dominique Fernandez

     

    Le mot latin Apulia a donné, par déformation populaire naturelle, Puglia en italien et, en français, Pouille, terme dont l’homonymie fortuite suggère une image aussi fausse que possible de cette contrée plutôt riche, en tout cas la seule du Mezzogiorno italien à n’être point pauvre. Et dont les habitants ont gardé dans leurs meurs une ouverture et une finesse d’esprit qu’ils tiennent peut-être de celui qui fut pendant la première moitié du XIIIe siècle leur souverain, Frédéric II de Hohenstaufen, roi de Sicile et empereur germanique.

    L’Apulie – appelons-la donc ainsi – est, comme la Sicile, une terre de croisements et de métissage culturel. Les grandes cathédrales du Moyen Age empruntent plusieurs de leurs traits à Byzance, à la Syrie. Le mur postérieur qui cache l'abside (Bitonto, San Nicola de Bari), les profondes arcades latérales (Bitonto), certains motifs de décorations géométriques (Altamura) sont des particularités qui dérivent de l’Orient. Les trois coupoles de Molfetta attestent une origine arabe. A Bitonto, sur l'escalier qui monte à la chaire, un bas-relief montre Frédéric II et sa famille. Ce monarque attira à Altamura, vers 1230, une population mixte, latine, grecque et juive. La cathédrale de cette bourgade, c'est lui qui la fit construire.

    Maître d’un vaste empire, Frédéric II affectionnait tout spécialement l’Apulie, où il se rendait chaque année de Palerme. Bateau jusqu’à Tarente, puis cortège magnifique à travers les terres. Nul plus que lui ne contribua à croiser les cultures méditerranéennes. A Lucera, au nord de l’Apulie, on voit encore les murs rouges de la cité où il avait installé soixante mille Sarrasins, à qui il permit de garder leurs mosquées et leurs privilèges. La seule des croisades qui ne coûta pas une goutte de sang fut conduite par ce prince : grâce aux bonnes relations qu’il entretenait avec ses amis arabes, il récupéra sans coup férir Jérusalem et les lieux saints, non pas en guerrier, mais en humaniste et en diplomate.

    A Jérusalem, il admira la mosquée d’Omar, à plan central, dont les proportions parfaites enthousiasmèrent son esprit enclin aux spéculations géométriques. De retour en Apulie, il choisit une colline solitaire au milieu de la plaine pour y bâtir une construction qui reste le meilleur témoignage de ses dispositions intellectuelles.

    Castel del Monte : on voit de loin ce château, dressé sur un contrefort rocheux. En s’approchant, on découvre qu’il a huit côtés, et que chacun des huit angles est orné d’une tour elle-même octogonale. Voilà ce qu’il y a de plus fascinant dans cet édifice : la combinaison, dans la pierre, du chiffre 8 indéfiniment répété ; plan octogonal, huit côtés, huit angles, huit tours pourvues chacune de huit côtés et de huit angles. Construction en abîme, en miroir. Joie de poser au milieu de la campagne fertile et abondamment cultivée une forme aussi belle, aussi parfaite, aussi austère qu’un théorème. Chacun des deux étages est divisé en huit pièces égales qui répondent aux huit côtés de l’édifice. Aucun élément décoratif ne vient rompre la splendide monotonie de cette pure projection de l’esprit. Bien entendu, on s’est longuement interrogé sur cette passion pour le chiffre 8, qui imprègne la conception d’ensemble du bâtiment non moins que chaque détail de l’intérieur. Une telle plénitude géométrique répond-elle au seul désir de perfection, ou cache-t-elle un symbolisme des nombres ? En ce cas, que signifie le 8, qui n’a de valeur spirituelle dans aucun texte sacré ? Ajoute au mystère de cette demeure le fait qu’aucune trace de cuisine, de cellier, de magasin pour les vivres, d'écurie pour les chevaux, de logement pour le personnel n’a été retrouvée. Faut-il croire que Frédéric, souverain magnifique qui ne se déplaçait pas sans une escorte pléthorique de courtisans, de domestiques, de devins, de poètes, de charlatans et d’animaux, faut-il croire qu’il se rendait seul à Castel del Monte, ou entouré du tout petit nombre de fidèles capables de le suivre dans son utopie architecturale ? Allait-il observer les étoiles, du fond de la cour intérieure octogonale dessinant sur le ciel un octogone propice à la contemplation ? Epure abstraite, ce qui est le plus beau château du monde reflète le dédain d’un esprit pour tout ce qui est hasard, empirisme, approximation, et sa fascination pour l'absolu.

    Mais on peut lire encore autre chose dans les huit faces et les huit tours de Castel del Monte : le mélange, la fusion des quatre cultures du bassin méditerranéen. Malgré ses démêlés avec le pape, Frédéric II était fils de l’Eglise catholique. Ce qui ne l’empêchait pas, seul peut-être en son temps, de rechercher l’alliance avec l’islam et de considérer cette alliance, non seulement comme le principe cardinal de sa politique, mais encore comme le fondement de l’équilibre européen. Après sa mort, en 1250, la Sicile et l’Apulie subirent la réaction catholique de princes plus bornés : c’est de ce temps que date la fracture entre le monde du Christ et le monde de Mahomet, fracture dont nous ne finissons pas, sept cent cinquante ans plus tard, de payer le désastre.

    A  Jérusalem, Frédéric fit fouetter un prêtre catholique qui, à peine recouvrés les lieux saints, voulait en faire payer l'entrée. Et puis, dans la mosquée d’Omar, il tomba en extase devant la perfection de cet édifice. Voilà donc réalisée la chimère polyculturelle. Un monarque chrétien a pris à Jérusalem, cité juive, un sanctuaire musulman comme modèle du château auquel ne se peuvent comparer, pour l’harmonie des formes et la beauté mathématique des mesures, que certains temples grecs de l’Antiquité païenne. L’Europe, l’Afrique et l’Orient, Athènes, Rome, Jérusalem et la terre du Prophète n’ont plus jamais été réunis dans aucune partie du monde. Castel del Monte reste l’unique témoignage concret du grand rêve universel qui continue à hanter les esprits, bien que les différences de race, de religion, de langue soient trop fortes aujourd’hui pour le rendre possible. Admirons avec d’autant plus de ferveur le seul homme qui, en plein Moyen Age, dans cette époque que notre paresse mentale qualifie de barbare, a su mener à bien Castel del Monte, synthèse des styles et des croyances, modèle de civilisation insurpassé.

    On attribue à la nature particulièrement tendre des pierres extraites des carrières d’Apulie les caractéristiques de la sculpture baroque à Lecce et à Martina Franca. Presque aussi malléables, quand on les sort au grand jour, que du beurre, dont elles ont d’ailleurs la couleur chaude et dorée, elles se prêtent à un travail de dentelle et de fignolage, avant de sécher et de durcir. D’où cette abondance de motifs décoratifs, fleurs, guirlandes, rosaces, ou abstraits, festons, astragales, volutes, aux façades des églises apuliennes comme aux balcons de Lecce. Beaucoup moins d’anges et de saints qu’à Rome ou à Prague, très peu de cet appareil agressivement catholique qui s’étale dans les régions à pierres dures ou à marbre. Ne peut-on, cependant, penser à une autre explication ? Invoquer l’influence posthume de Frédéric II et de son œcuménisme monumental ? Si, partout ailleurs, le baroque, produit de la Contre-Réforme et de la crainte des religions différentes, est un manifeste, souvent belliqueux, de l'Eglise romaine, en Apulie, grâce à ce prince exceptionnel, il a pu s’affranchir de cette ostentation militante et s’épanouir en pure jubilation artistique.

    Extrait de "Le voyage en Italie, Dictionnaire amoureux" de Dominique Fernandez, Editions Plon 1997, ISBN : 2-259-18516-9





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